Le sens du courant

Les pieds dans le sable, les vagues me déshabillent. Elles me rencontrent et me traversent. Sensible à leur toucher, je les touche sans les attraper. Celles-ci se faufilent sous mes souliers et ce, à l’image du temps qui défile dans mes poignées. L’eau marque de sa trace et ride les surfaces. Les vagues s’enchainent et effacent les empreintes qui dessinaient mon chemin. Des empruntes d’une profondeur inimitable, sculptées par le passé. L’eau remplit le creux sans pitié. Elle pénètre et vient s’empiéter dans le chemin sablé. 

Il ne reste plus rien derrière moi, l’écume détruit tous les tracas. Les vagues du temps nettoient tout sur leur passage. Elles effacent tout chemin, après chaque pas elles répètent ce même refrain. Impossible de rejoindre mon sentier, l’itinéraire s’est dissipé. Le vent soulève le temps. La Terre tourne autour de mes pieds, ancrés dans un sable de volupté. Je m’enfonce. Les grains de sable virevoltent sous l’effet du vent. Son souffle révolte l’impatient.

Tout près, les vagues finissent leur course sur les rochers. Un son se libère à chacune de leurs rencontres. Cette musique éveille en moi le parfait qui m’entoure. Les déceptions se conjuguent alors à l’imparfait. Spectateur, je porte mon regard sur la paume de mes mains, orientées vers le ciel. Nourries d’un passé, saisies des non-faits. La courbe des rides apparentes illustre l’instabilité. Les couleurs gagnent en saturation. Les rayons du soleil redorent la peau de mes mains. J’attrape des lueurs d’optimisme à grandes poignées. Je les serre jusqu’à m’en emparer. Je laisse le plaisir me dominer, le sourire m’orienter. L’explosion des vagues accroît ma force. Le sable émouvant aspire mon appréhension. Chacun de mes doigts sollicite la motivation de tout son poids. L’essentiel est juste là. Face à l’océan, au présent. Dos au passé, impossible de regarder en direction des pages tournées. De ses limites, le corps m’empêche de regarder en arrière. Peut-être par hasard, peut-être pas. Je serre les mains de toutes mes forces. Le plaisir instantané est séquestré. Momentanément, je tiens l’essentiel entre les mains.

Je regarde autour de moi, seule la nature m’accompagne. Le bleu de l’océan vient défier la couleur du ciel, deux contrastes différents, mais enlacés. Le jaune du sable m’éloigne progressivement de ma maturité. Il me rappelle mon enfance et l’insouciance qui est reliée. Je prends mon souffle, remplis mes poumons dans leur intégralité et lève la tête. Les nuages dans leur quête, des étoiles en en-tête. Je me sens si léger. La marée descend, je me sens monter. La marée efface mes limites sans compter. Le soleil colore le paysage, reflété dans l’océan, il projette ses rayons les plus puissants. Sa chaleur domine ma peau et supprime tous mes défauts. Un air de liberté s’empare de mon esprit. Je ne pense plus à rien. Seule la circulation alternée des nuages dans le ciel me rappelle que le temps n’est pas figé. Le vent légèrement frais, se marie gracieusement sur ma peau ensoleillée. Le calme de l’atmosphère présent n’a jamais fait autant de bruit. Il remplit ma tête, le reste s’enfuit. Plus rien ne nuit à cet affrontement, le passé s’éteint face au présent. Tout est déstructuré, les barrières psychologiques désemparées. Je me retourne alors, tout est si loin, en désaccord. Ma personne se révèle si fort, que la faible température de l’eau ne perturbe en rien le contact avec mon corps.

Le niveau de l’eau progresse et monte encore. Fini de regarder en arrière, je fais face à l’arrivée de l’eau de mer. Le soleil baisse en gravité et se rapproche progressivement du niveau de l’eau. Le couleurs du ciel défilent en arc-en-ciel. Pris au jeu, le spectacle colore mes yeux. Mes genoux à présent recouverts par l’eau, le courant gagne en intensité. Reculer, faire face au courant serait un danger. Je me sens obligé d’avancer, aspiré par ce qui me plait. Des vagues viennent faire obstacle à ma course. Ma détermination, dans son élan, n’en est perturbée. Le courant l’a décidé. Ce que je recherche depuis des années est à portée, dans la direction empruntée. C’est évident, plus je marche dans cette direction, plus nous sommes en association. Suivre ce courant serait la meilleure solution.
Pourquoi lutter face à ce qui m’aspire ? Pour quelles raisons devrais-je reculer face à ce qui m’attire ?

J’accompagne donc mes pas, d’un mouvement de mains, je progresse dans l’eau avec entrain. Le niveau de l’eau monte, le poids de mon corps s’estompe. Tout est plus facile quand je ne lutte pas. Ce qui me fait avancer ne m’effraie pas. Je navigue alors comme un trois-mâts. Je flotte sur l’eau, rosée par le coucher du soleil. Séduit par ce spectacle sans pareil. Un plaisir qui nait et meurt chaque jour. Le soleil se lève et s’allonge, en fin de journée, sur ce lit bleu. Un lit dont j’ai toujours rêvé, d’une étendue illimité. Ce plaisir m’aspire et m’inspire, chaque jour, à apprécier l’arrivée du prochain.

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